Parler de Jacques Couëlle…
C’est parler d’un monde qui lui appartient. Un monde de féerie et de rêve dans lequel il est né. Un monde de luxe et de beauté dans lequel il a évolué et exercé en architecte des milliardaires. » La Maison-Paysage libère l’espace de tout ce qui l’encombre ; elle peut être réalisée même en grande densité, sans altérer la NATURE qui reste SOUVERAINE. La Maison-Paysage étant en partie recouverte et parée de végétation locale, par mimétisme, s’incorpore avec son environnement ».
Un monde de création et d’harmonie retrouvée, où nature et architecture ne font plus qu’un. Sa production, qui a traversé le XXe siècle, est toujours restée en marge du courant moderne que prônait l’architecte Le Corbusier. Jacques Couëlle, le chasseur d’angles droits et de surfaces lisses, a fait naître de ses mains sa modernité en inventant les Maisons-Paysage.
Ce sont vingt années d’études passées au Centre de recherches des structures naturelles qui lui ont permis de concrétiser cette « nouvelle forme d’esthétique raisonnée et originale ». Les études menées sur l’habitat de l’instinct, les phénomènes naturels, l’architecture des végétaux et des corps, ce qu’il appelait la bionique, sont à l’origine de ces étranges maisons qui s’effacent, se confondent et s’enterrent, pour une harmonie parfaite avec la nature souveraine. Là où d’autre tel que F.L. Wright et R. Neutra s’efforcent de faire pénétrer le paysage dans la maison, lui, inverse les rôles. C’est la maison qui pénètre le paysage.
Au début des années soixante, Jacques Couëlle voit se concrétiser son rêve dans le village de Castellaras où il imagine un ensemble de maisons individuelles répondant toutes aux mêmes règles : le jardin investit les terrasses ; les formes organiques issues du déplacement du corps dans l’espace confèrent à la fois à l’intérieur et à l’extérieur une grande intimité ; les ouvertures placées à des endroits stratégiques offrent des jeux de lumière et des cadrages sur la nature changeante. L’architecte-sculpteur naît : de ses mains sont sorties les formes
La complexité formelle de ces habitations troglodytiques artificielles a demandé à l’architecte l’élaboration d’une technique de travail particulière. Là où pour certains la création passe par la plume et le dessin, pour Jacques Couëlle, les formes jaillissent de l’élaboration d’une maquette. Un socle en bois, une bobine de fils de fer, une poignée de clous, quelques tiges métalliques, quelques baguettes d’étain, un chalumeau, un sac de plâtre, un peu d’eau, un couteau. Il n’en faut pas plus pour que la création s’installe. Debout devant sa table de travail, il trace sur le socle une trame qui lui sert de base pour le dessin du plan sur le papier. Il assemble ensuite soigneusement les tiges métalliques pour former une armature, qui plus tard sera reproduite sur le chantier.
Quand cela lui semble nécessaire, il façonne au couteau l’enveloppe de plâtre qui formera le couvert de cette étrange carapace.
Dans son atelier, l’architecte est sculpteur ; sur le site, il est maquettiste d’un travail en vraie grandeur. Une fois la maquette de l’armature déposée sur le chantier, les ouvriers reproduisent à l’identique ce qu’ils ont sous les yeux, mais en vingt fois plus grand. Ils répètent, armés de réglets et de piges, les mêmes gestes que le sculpteur devant son œuvre. L’impressionnant squelette est monté, puis soudé, tandis que l’architecte vérifie sans cesse que les fenêtres cadrent bien le paysage. L’armature est ensuite recouverte d’un grillage et de plusieurs couches de béton projeté tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. L’architecte-sculpteur ajuste sa création sur le site et remodèle à la main la courbure d’une voûte ou le galbe d’une façade.
Cette manière de travailler ressemblait bien à son créateur, curieux et un peu touche à tout. Rattaché au mouvement « architecture-sculpture », Jacques Couëlle se disait « écologue » plus qu’il ne prétendait être architecte ou encore sculpteur. Par chance peu d’architectes ont suivi sa trace. Le trésor qu’il a laissé lui est personnel et personne ne peut l’imiter. Aujourd’hui, perplexe devant son œuvre, il faut tout de même se l’avouer : tout comme nous, par simple curiosité vous ne refuseriez sûrement pas de passer une nuit dans une de ses maisons.